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OGER KABORE, artiste- musicien: « Notre génération ne faisait pas la musique pour en vivre »

Ecrivain, chercheur, professeur d’université et artiste-musicien, Oger Kaboré est une voix atypique et inoxydable de la musique burkinabè depuis les années 70. Originaire de la région du centre-est du Burkina, il a produit des chansons qui ont résisté au temps et sont de véritables succès. Dans cette interview que le doyen nous a accordée le 27 août dernier à Ouagadougou malgré son calendrier assez chargé, il nous plonge dans les souvenirs des années d’indépendances, son parcours, son quotidien, jette un regard critique sur la musique de la nouvelle génération et lève le voile sur sa situation matrimoniale. Lisez plutôt !

 

Evasion : Que devient l’artiste ?

 

Oger Kaboré : Dieu merci, l’artiste est encore vivant, puisque je suis en interview avec vous. Mais, je comprends votre question, puisqu’il y a longtemps que je ne suis plus sur la scène. Je suis quand même de près l’évolution de la musique au Burkina. En fait, je ne me sentais pas prédestiné à être artiste-chanteur. J’étais d’abord à l’école primaire un dessinateur, les enseignants en étaient émerveillés jusqu’au lycée à ma seconde. Je faisais le dessin avec un peu de peinture et puis, il y a un monsieur qui était notre chef de dortoir, il s’appelait Yago Koumassi, et qui jouait la guitare. On était tous émerveillé et regroupé autour de lui. Moi, j’ai été piqué par le virus et c’est par là que j’ai commencé à apprendre à jouer la guitare et à composer déjà dans les années 1967-1968. Quand j’ai atteint la classe de Terminale, j’avais déjà un certain nombre de compositions dont « Pauvre Raphaël », « Maman », etc. C’est ainsi que j’ai été invité à une émission à la radio, l’émission s’intitulait « Contact vedette ». Il y avait Salambo, Cissé Abdoulaye et un certain nombre d’artistes qui passaient régulièrement à cette émission et c’est comme ça que j’ai été révélé au public en 1970.

 

N’avez-vous pas intégré des orchestres ?

 

Je n’ai pas intégré un orchestre, mais on a eu parfois recours à des orchestres pour nos chansons. Moi, j’ai évolué de façon solo avec ma guitare.   J’ai plus collaboré avec l’Harmonie Voltaïque, la formation « Round aya kibsa ».

 

Combien d’albums avez-vous exactement ?

 

Ce n’est pas la pléthore, j’ai cinq disques vinyles et 33 tours.  En 1998, je suis revenu avec « Kakoada » sur cassette. Tout dernièrement, j’ai  fait un best sur CD en 2013.

 

A quand remonte votre dernière scène ?

 

Si c’est mon propre concert, il y a très longtemps. Par contre, s’agissant de petits contrats pour des prestations, j’étais sur scène l’année dernière à Kaya lorsqu’on m’a demandé de venir chanter « Kakoada » lors de la journée nationale du paysan.

Etes-vous disponible pour des contrats avec des promoteurs de spectacles ?

 

Etant à la retraite, beaucoup de gens me demandent ce qui se passe et disent qu’ils ne m’entendent pas. Lorsqu’on a pris un peu de recul par rapport à la scène, ça devient difficile d’y remonter. Par contre,  s’il y a des contrats à signer avec des promoteurs, c’est possible. Je pourrai éventuellement sortir un album de retraite suivi de spectacles.

 

Vous parlez de retraite, est-ce celle du chercheur, de l’écrivain, du professeur ou   de l’artiste ?

 

Il semble que l’artiste ne va jamais à la retraite, c’est vrai mais il faut être réaliste. Chaque chose a son temps. L’énergie qu’on déployait avant, on n’en a plus   aujourd’hui et en plus, les styles ont évolué. Il semble qu’il y a un public demandeur du style de musique que nous avons produit et que si nous l’adaptons au goût dudit public, ça peut marcher.

 

Quel est votre regard sur les jeunes artistes ?

 

Chaque génération vient avec ses goûts, sa créativité et son dynamisme. La musique d’aujourd’hui a pris une vitesse supérieure, les rythmes ont été multipliés par deux ou trois, très chauds et très rapides et ça correspond au tempérament des jeunes d’aujourd’hui. C’est bien mais, ce que je regrette, c’est qu’on a mis beaucoup plus l’accent sur le rythme et pas assez sur la mélodie. Il y a aussi beaucoup plus d’accent mis sur les phrases et slogans mais pas sur les compositions textuelles. Mais il y a quand même des artistes que j’admire, ils font beaucoup de recherches. Par exemple Bil Aka Kora et Djata qui, malheureusement, s’en est allée.

 

Qu’est-ce qui justifie le fait que vos chansons    résistent toujours au temps ?

 

C’est vous qui le dites. Par exemple « Kibsa », j’ai mis deux ans pour la composer avant de passer à l’enregistrement. Aujourd’hui, il suffit de rêver d’être artiste et demain, on est dans un studio, (éclats de rire) … Notre génération   ne faisait pas la musique pour en vivre, mais pour la vivre. A l’époque, on jouait pour quinze mille francs CFA à la Maison du peuple, on était des fonctionnaires et la musique, on la faisait par plaisir. Peut-être que j’ai pu développer dans mes chansons des thèmes qui ont accroché les gens. « Les vacances », c’était à l’époque où j’étais étudiant et si je ne m’abuse, je fus le premier à chanter « Maman ».

 

Avez-vous bénéficié financièrement de la musique ?

 

Non, pas vraiment, comparativement à ce que les jeunes engrangent aujourd’hui comme sous. Mais je suis comblé que ma musique plaise aux gens.

 

Quels sont vos mauvais et meilleurs souvenirs ?

 

Je n’ai pas quelque chose de précis en tête à vous dire, peut-être un concert mal organisé. On a eu des concerts à la Maison du peuple qui était pleine, avec une guitare, dans les années 70. Au moins, je peux vous garantir que je n’ai jamais été sifflé sur scène. Durant ma carrière, j’ai eu la chance de faire une tournée artistique sous-régionale avec le regretté Sotigui Kouyaté qui, à l’époque, avait créé une troupe de danse  capable de danser plusieurs danses de notre pays. Il avait demandé à nous trois, Samboué Jean Bernard, Sandwidi Pierre et moi, de faire partie de cette troupe et notre rôle était de faire déguster nos chansons au public lorsque la troupe rentrait en coulisse pour se changer. On est allé au Niger, au Bénin et en Côte d’Ivoire et par la suite, on a eu une tournée réussie au Canada, c’était en 1972-1973. C’était vraiment magnifique, (il nous montre quelques photos souvenirs).

 

Comment avez-vous vécu la période de la révolution avec Sankara qui était friand de musique ?

 

Il était vraiment friand de musique, il a même lancé les Colombes de la révolution, les Petits chanteurs aux poings levés, il a même équipé les orchestres des corps habillés et cela a  donné ce que ça a  donné. La seule chose que j’ai regrettée sous la révolution, c’est qu’on n’a pas donné les moyens aux artistes qui étaient déjà lancés comme nous autres. Ils disaient qu’on ne traitait pas des thèmes de la révolution dans nos chansons. Et je me rappelle que Sankara avait dit lors d’un meeting que c’est fini le temps des chansons d’amour. Pendant la révolution, il y avait une certaine volonté de faire bien, mais dans la pratique, il y a eu un couac. Je pense qu’il y a eu manque de préparation et de formation.

 

Avec vos multiples casquettes (chercheur, écrivain, professeur et artiste), ne pensez-vous pas avoir esquinté votre physique ?

 

C’est vrai que la carrière de chercheur a pris le temps d’une partie de ma carrière musicale même si j’ai essayé de ménager les deux jusqu’à un certain moment. La recherche n’est pas de tout repos, on a parcouru presque tout le pays pour faire la collecte et la conservation des musiques traditionnelles. J’ai fait 46 ans de recherche.

 

Vous avez parlé de retraite, quel est votre quotidien ?

 

Pendant la retraite, il faut éviter la chaise longue comme l’a dit un grand frère. Il a dit que la chaise longue t’envoie au lit et le lit t’envoie à la tombe. Pour dire qu’il faut être actif. Je donne quelques cours, cela permet au cerveau d’être en éveil. Il y a les problèmes familiaux à gérer, nous sommes devenus les vieux du village, on encadre les jeunes pour le mariage, on essaie de courir. De temps en temps, je réchauffe mes doigts avec la guitare et puis, j’aime beaucoup écouter la musique de tout genre.

 

Avez-vous un régime alimentaire spécial pour vous maintenir un peu en forme car vous avez moins de rides ?

 

Pas vraiment spécial, mais j’aime beaucoup le tô, moins la viande. J’aime aussi le poisson ; l’alcool, c’est de temps en temps. Je fais de la méditation avec la respiration parce que ça régénère.

 

Quels sont vos projets ?

 

(Eclats de rire…) Je suis en train d’y penser. Quand ce sera mûr, je vais vous contacter.

 

Quelle est votre situation matrimoniale ?

 

Je suis marié et père de trois enfants.

 

Pour terminer, quel est votre message à l’endroit de nos lecteurs et vos fans ?

 

Je vous remercie de m’avoir donné la parole, je suis très content d’être apprécié par le public. Je remercie mes fans de m’avoir soutenu depuis des années lointaines jusqu’à aujourd’hui, Dieu merci, je suis encore en vie. Si Dieu me donne la force, je ferai de mon mieux  pour leur donner quelques chansons à écouter encore.   Certains de mes amis ne sont plus de ce monde, c’est dommage : il y a Sandwidi Pierre, Salambo, Salaka Vince, Méda Francis. Je demande aux jeunes artistes de tourner leur regard vers la musique burkinabè. Les gens sont tournés vers la musique étrangère. Certes, on ne peut pas s’enfermer, c’est la mondialisation, mais si les autres ont du succès, c’est qu’ils ont été soutenus chez eux.

 

Propos recueillis et transcrits par Aboubakar Kéré KERSON

 

ENCADRE

 

Oger Kaboré se présente

 

« Je suis né le 14 juillet 1949 dans un village de la province du Kourritenga qu’on appelle Dimpaltenga. J’ai fait mon enfance au village comme tous les enfants de l’époque. J’ai fréquenté l’école à Koupèla, l’école missionnaire, jusqu’à obtenir mon certificat et l’entrée en 6e. Et j’ai continué mes études à Fada-N’Gourma au collège missionnaire Saint Joseph. Après, j’ai continué au lycée Philippe Zinda Kaboré pour la suite de mes études jusqu’au Bac. Après le Bac, j’ai intégré l’embryon d’université qui existait à l’époque et qui s’appelait Centre d’enseignement supérieur en 1970, et trois ans après, j’ai eu la licence et je me suis envolé pour Paris pour la maîtrise. Je suis revenu travailler pendant six ans au Centre national de la recherche scientifique, qui s’appelait à l’époque  Centre voltaïque de la recherche scientifique. Il y avait un poste qui m’intéressait énormément, un poste de recherche sur les musiques traditionnelles et ce, en tant qu’artiste avec une sensibilité tournée vers les traditions culturelles. J’y ai travaillé avant d’aller faire mon DEA à Strasbourg et à Paris pour la thèse et puis, je suis revenu au pays, c’était en 1986. Voici de manière ramassée le parcours scolaire et estudiantin de l’artiste. »

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