Dis-moi tout

TANKIE SANOGO, artiste-musicien résidant à Dédougou: « Je n’en veux à aucune de mes femmes qui sont parties parce que je suis devenu aveugle »

Révélé par l’orchestre du Régiment de parachutiste Commando (RPC) de Dédougou au début des années 90,  l’artiste a fait danser plus d’un Burkinabè à travers ses mélodies au son de balafon. Grand joueur de balafon, Tankié Sanogo est issu d’une famille de griots, originaire de la commune de Bonborokuy dans la province de la Kossi. Né en 1962, l’artiste-musicien souffre actuellement d’un mal. Il est devenu aveugle depuis 2014 à Ouagadougou où il vivait. Après des soins à la médecine moderne sans amélioration, l’artiste a décidé de rentrer à Dédougou pour soigner son mal à travers la médecine traditionnelle. Tankié Sanogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a accepté de répondre à nos questions, le 25 mai dernier à travers un entretien qu’il a bien voulu nous accorder. Lisez !  

 

Evasion : Que devient Tankié Sanogo ?

 

Tankié Sanogo (TS) : Je suis actuellement malade, je suis devenu aveugle. C’est pourquoi je suis rentré de  Ouaga pour rester à Dédougou depuis le  29 octobre 2014. L’objectif était de venir me soigner quand je suis arrivé, mais mon mal a empiré et je suis  devenu aveugle.

 

Quelle est l’origine de votre maladie et comment vous vous soignez?

 

L’origine de la maladie remonte à l’entrée d’un corps étranger dans mon œil. J’ai senti comme un insecte volant qui est entré dans mon œil. Au début, j’ai soigné avec la médecine moderne sans aucune amélioration. C’est pourquoi j’ai décidé de soigner le mal traditionnellement. C’est une maladie qui ne peut pas se guérir avec les  traitements de la médecine moderne que j’ai essayée à Ouaga, Koudougou et à Nouna en vain. Au fur et à mesure que je me traitais avec la médecine moderne, mes yeux qui n’étaient pas totalement fermés, se fermaient davantage jusqu’à l’aveuglement. Le jour où tous mes yeux se sont fermés, c’était le 15 novembre 2014 à 17 heures. A cette époque, la nuit, à l’aide d’une torche, je voyais un peu et aussi dans la journée, quand je m’abaissais aussi, je voyais et au bout de deux semaines, je ne voyais plus rien. Le semblant d’insecte qui est entré dans l’œil y est sorti et la douleur que je ressentais, s’est dissipée. Mais je ne vois plus rien.  Il y a des moments où j’ai des maux de tête intenses.

   

 Votre album « togotiéna »  vous a révélé au grand public au début des années 90 à travers des chansons comme « Yougouyougou », « Togotiéna »  « Badenyala ».  Quels sont les souvenirs que vous gardez aujourd’hui de cette époque ?

 

A l’époque, ce sont les militaires de l’orchestre du RPC de Dédougou qui nous (Drissa Traoré et moi)  ont intégrés dans leur orchestre. Nous étions des chanteurs en dioula. Je pense que c’est ma voix et le geste que je faisais sur scène qui ont fait que j’avais beaucoup de fans. Grâce à nos talents, l’orchestre était renommé et cela  nous a conduit dans des pays voisins pour des prestations. Quand j’étais absent lors d’une prestation, les fans me réclamaient. J’étais vraiment aimé des mélomanes,  c’est ce qui m’a lancé.

 

A cette belle époque où vous avez fait la pluie et le beau temps, pensiez-vous vivre un jour dans les conditions que vous vivez aujourd’hui ?

 

A l’époque, je n’ai jamais imaginé que cela pouvait m’arriver. Je n’ai jamais pensé que mes yeux pouvaient me lâcher. Je faisais danser les mélomanes car mes chansons plaisaient et j’aimais mes fans, mais je n’ai jamais eu à l’esprit que cette maladie allait me pénaliser autant. Que dire? Ainsi va la vie, quand la maladie vient, c’est comme çà. Mais j’avoue que ça m’a énormément surpris. C’est au moment où je pensais vraiment bien profiter de ma carrière que la maladie est intervenue.

 

 

Est-ce que votre carrière de musicien vous a permis de faire des réalisations ?

 

Ma quête de savoir m’a conduit au Mali auprès de mon idole qui est Zani Diabaté. J’ai beaucoup appris dans la musique au Mali et cela était l’une de mes grandes richesses que j’ai acquises.

 

L’orchestre du RPC vous a lancé, quel souvenir vous gardez de votre passage au milieu des « militaires musiciens » à l’époque ?

 

Je pense que si aujourd’hui je suis connu, c’est grâce à l’orchestre du RPC de Dédougou. A l’époque, ce n’était pas pour l’argent que nous faisions la musique, c’était plutôt  la passion. Mon  plus grand souvenir, ce sont  les chansons que j’ai réalisées quand j’y étais et c’est grâce à ces chansons que je suis connu.

 

Que pensez-vous de la musique burkinabè d’aujourd’hui ?

 

La musique burkinabè a évolué. A l’époque où nous rentrions dans la musique, il n’y avait pas beaucoup de musiciens. Il y a une nouvelle génération et j’apprécie sa musique. Mais, il faut que l’Etat burkinabè aide les artistes-musiciens. Dans certains pays comme le Mali, la Guinée et le Sénégal, l’Etat accompagne  beaucoup les musiciens en leur offrant des opportunités de tournées en Europe. Ici, ce n’est pas le cas. Les artistes-musiciens ne sont pas accompagnés comme il se doit au Burkina Faso. L’artiste commence sa carrière au pays et l’y termine sans aucune tournée en Europe. 

 

Quelles sont vos relations avec vos anciens camarades musiciens, est-ce que vous recevez leur soutien  en ce moment de souffrance ?

 

Nous gardons toujours de bonnes relations. Seulement, il y a beaucoup qui ne savent pas que je suis malade. Comme je voyageais beaucoup, certains pensent que je ne suis pas au pays. Alors que je suis à Dédougou il y a 3 ans 6 mois. Même beaucoup de mes fans ne savent pas que je suis malade. Je passe toute la journée à la maison, la nuit également.

 

« Les artistes-musiciens ne sont pas accompagnés comme il se doit au Burkina Faso »

 

Vous êtes griot, on vous a connu grand joueur de balafon à l’époque, mais vous jouez actuellement à la kora,  est-ce votre état de santé qui explique ce changement d’instrument de musique ?

 

C’est vrai, à l’époque, il n’y avait pas meilleur en balafon que moi dans la région. Mais actuellement, avec mon mal et du fait que le balafon est lourd, c’est un peu difficile. La kora est plus légère, c’est pourquoi depuis 2017, je joue cet instrument. Quand j’ai des maux de tête intenses, je joue la kora et ça allège la douleur. Mais je peux toujours jouer le balafon même avec mon état d’aveuglement.

 

Il semble que c’est à cause de votre maladie que vos femmes vous ont quitté. Est-ce vrai ?

 

Vous voyez ? Quand vous êtes bien portant, ce n’est pas simple, n’en parlons pas quand vous tombez malade. Si tu deviens aveugle, il y a des gens qui ont besoin de tes femmes, c’est pourquoi elles sont parties. C’est la vie. Sinon, avec ces femmes, il n’y a pas eu de mésentente.  Nous avons eu des enfants. Je n’en veux à aucune de mes femmes qui sont parties. C’est la volonté de Dieu.

 

Quel sont vos projets?

 

En 2014, quand je voyais toujours, j’avais des projets. Mais avec mon état actuel de santé, tout est tombé à l’eau. Actuellement, même une simple prestation pour avoir de quoi nourrir mes enfants, ne se présente pas à moi. Sinon, je continue à faire de nouvelles compositions mais je n’ai pas d’accompagnement.  

 

Avez-vous autre chose à ajouter pour clore cet entretien ?

 

Mon dernier mot, c’est d’abord un cri du cœur à l’endroit de toute personne de bonne volonté de m’aider, parce que je suis malade, je suis  devenu aveugle.  J’ai  3 de mes enfants qui sont à l’école et sont à ma charge.  Je n’ai pas de salaire si ce n’est que le droit mécanique que je reçois du BBDA que je remercie énormément. Je profite  également remercier les personnes de bonne volonté qui me soutiennent depuis Ouaga. Que Dieu leur rendent au centuple. Je remercie également mes bienfaiteurs de Dédougou. Il y a environ une semaine de cela, un grand vent a décoiffé  le toit de ma maison et jusque-là, ce n’est toujours pas réaménagé. Je ne sais pas où aller, donc, j’y suis toujours en attendant. Je remercie Les  Editions « Le Pays » pour cette interview.  Que Dieu vous bénisse. 

 

Propos recueillis par Arnaud Lassina LOUGUE

(Correspondant)

Articles similaires

IDAK BASSAVE, artiste- musicienne: « « Il y a des artistes burkinabè qui sont hors de la plaque »

Evasion Magazine

SIMON WINSE, artiste- musicien et multi-instrumentiste: « J’ai l’impression qu’on a honte de notre tradition »

Evasion Magazine

KISSATOU, ARTISTE-MUSICIENNE: « La jeunesse burkinabè est en train de se battre pour son émergence »

Evasion Magazine

laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.