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Fadal  Dey, artiste-musicien ivoirien : « Il faut créer une vraie loi qui protège les œuvres artistiques d’esprit »

 

Originaire de la Côte d’Ivoire, c’est depuis l’école primaire que le reggaeman Fadal Dey a fait ses premiers pas dans le monde de l’art en s’initiant au théâtre en tant qu’acteur et en interprétant à merveille des chansons de vedettes nationales et internationales. C’est la naissance d’un talent qui, en réalité, puise ses racines dans son ascendance. En effet, Fadal Dey est descendant d’un célèbre chansonnier traditionnel d’Odienné (situé dans le Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire) nommé « Gbêrêkôrô ». Quant à sa mère, elle a été une danseuse traditionnelle à Zuenoula, ville du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. C’est autour des chants et danses traditionnels que l’artiste bâtira plus tard le concept « Mandé Roots Culture » qui veut dire la racine de la culture mandé. Par ailleurs, issu d’une famille polygame, Fadel Dey a vécu une enfance difficile ; ce qui lui vaut son caractère de battant et de gagneur. Chaque sortie de ses albums fut un succès total. L’on se rappelle  des chansons comme « Ne l’abandonne pas », « Bobo-Dioulasso », etc. Fadal Dey  est actuellement à Ouagadougou pour  présenter son 5e album intitulé « Jam coco » et réaliser 2 clips vidéo dans la ville de Ouagadougou. C’est à cette occasion que nous l’avons rencontré. Dans les lignes qui suivent, il livre sans complaisance les faits marquants de sa carrière musicale.

EVASION : Qui est Fadal Dey ?

Fadal Dey : Je suis un artiste-musicien reggaeman ivoirien, je salue tous les lecteurs et lectrices du journal hebdomadaire culturel EVASION ; je vous fais un big up.

Qu’est-ce qui explique votre présence au Burkina Faso cette fois-ci ?

Je suis ici pour la sortie de mon dernier album baptisé « Jam coco ». Un album de 17 titres, produit par Mandé Roots Production, sorti il y a quelques semaines en Côte d’Ivoire. Je vais également profiter de mon séjour pour tourner 2 clips vidéo dans la capitale burkinabè.

Pourquoi le choix de Ouagadougou pour la réalisation de ces clips ?

Parce que mon staff et moi avions jugé que la ville de Ouagadougou répondait à ce que nous voulons montrer dans nos clips vidéo. Nous voulions des symboles et les sites typiques, c’est à Ouagadougou que nous les trouvons. Il y a le titre  « Sankara  Forever » et l’autre chanson, est une reprise de « Tcheleguiyan » du groupe burkinabè « VITALO ».

Combien d’albums totalisez-vous et quels sont les thèmes que vous abordez dans cet opus ?

Mon 1er album, « Religion » est sorti en 1997 avec comme titre phare  « gouvernement chauve souris ». Cet album a eu un grand succès auprès du public. Le second, « Jahsso » est sorti en 1999. Le 3e, « Méditation », est sorti en 2003. Il y a eu le 4e « Mea Culpa », et je suis à mon  5e album actuellement. Les thèmes sont assez variés. J’aborde les thèmes de la vie de tous les jours, par exemple rendre hommage à nos icones, exhorter la jeunesse africaine au travail et à prendre soin de sa vie, etc. Mon 5e album intitulé « Jam coco » qui signifie, à Abidjan, dans le langage de la rue, « Jamais ». C’est pour dire aux uns et aux autres de ne jamais envier la place de quelqu’un, c’est le bon Dieu seul  qui détient  le destin  entre les creux de leurs mains. Voici en gros le résumé de mon dernier album.

Et comment le tournage de vos clips se passe-t-il?

C’est la structure « Berger Africa» du chanteur Aly Veruthey basée à Ouagadougou qui réalise mes clips. J’ai vu ce qu’il fait comme travail et j’en suis satisfait. Je lui dis merci pour le beau travail abattu.

De nos jours beaucoup d’artistes-musiciens africains se plaignent qu’ils n’arrivent pas à vivre de leur art. Etes-vous de cet avis ?

C’est une question qui ne se pose pas. Mais c’est une triste réalité que les artistes-musiciens vivent de nos jours. D’abord, cela incombe à la plupart des Etats africains qui ne s’investissent pas assez au niveau de la culture. Pourtant, c’est un secteur qui apporte beaucoup à nos différents Etats. C’est également un milieu qui a besoin d’assainissement et cela est très important. Il faut des droits sérieux pour protéger les œuvres de l’esprit pour que l’artiste puisse vivre de son art et créer également des emplois. Parce que lorsqu’un artiste arrive à s’acheter un taxi avec l’argent qu’il gagne dans la musique et qu’il met ce taxi en circulation dans la belle ville de Ouagadougou, c’est un taxi qui emploiera au moins 2 chauffeurs. Donc, s’il y avait 8 chômeurs à Ouagadougou, il en restera 6. Voici comment un artiste peut contribuer au développement d’un pays. Nous avons besoin que notre milieu artistique soit  assaini par des lois. Si on envie les artistes comme Michaël Jackson, Céline Dion, Johnny Halliday et autres grands chanteurs du monde qui vendent des millions d’albums, c’est par ce qu’il y a des bonnes lois qui régissent le secteur dans leurs pays. Je prends un exemple assez simple. Chez moi en Côte d’Ivoire, nous sommes 22 millions d’habitants, mais quelle loi ou politique est-elle mise en place pour qu’au moins 1 million de personnes puissent acheter un CD d’album original ? Il n’y en a pas… Considérons que sur les 22 millions d’habitants, 10 millions ne travaillent pas et que sur les 12 millions qui restent, 6 millions n’ont pas de travail stable bien rémunéré. Considérons encore que pour les 6 autres millions, au moins 1 millions de personnes achètent un CD original d’un artiste à 3 000 F CFA. Si l’on donne 1 000 F CFA à l’artiste et que le producteur lui reverse 500 F CFA à chaque CD vendu, cela lui fera un gain de 500 millions de francs CFA. Vous voyez que l’artiste n’aura plus besoin d’allez quémander et gratter sa tête devant qui que ce soit. A ceux qui disent que les CD sont en voie de disparation, que les CD ne marchent plus, je rétorque que c’est faux. Il y a quelques minutes de cela, mon frère et ami vient d’appréhender un vendeur de CD piraté qui est venu nous proposer des CD piratés. Cela veut dire qu’il y a toujours un besoin, ou une demande sur le marché. Beaucoup de maisons de distribution sont totalement fermées en Afrique. Je devrais travailler avec Seydoni Production Burkina, mais cela n’a pas marché, car la structure est presque fermée, par ce qu’il y a un laisser-aller. Il y a le piratage des œuvres de l’esprit et l’Etat ne fait rien, que ce soit au Burkina Faso, au Mali, en Côte d’Ivoire et partout ailleurs en Afrique, c’est pareil, c’est pratiquement la même plaie. Aujourd’hui il faut que nos Etats se réveillent.

Que proposez-vous à nos Etats pour éradiquer ce mal ?

C’est ce que j’ai dit au début, il faudrait qu’il y ait une vraie loi. Chez nous en Côte d’Ivoire, la loi dit que si on attrape un pirate d’œuvre artistique, avec les œuvres piratées, on l’amène au commissariat et il a la possibilité de payer une amende pour sortir de la prison. Attendez… où allons-nous ? Car nous savons tous que ces pirates sont bourrés d’argents, ils sont riches, car ils vivent malhonnêtement de nos œuvres. Nous avons remarqué une fois en Côte d’Ivoire qu’il y avait des gens qui prenaient l’effigie des billets de banque pour en faire des portefeuilles et vendaient au marché et devant les feux tricolores, cela marchait très bien car c’était devenu un phénomène de mode. Mais la BECEAO a tapé du poing sur la table ; elle est montée au créneau et elle a interpelé l’Etat. Elle s’est plaint et l’Etat a réagi et du coup ces portefeuilles ont disparu sur le marché. Maintenant, pourquoi nos CD piratés sont-ils toujours au bord de la route au vu et au su de tout le monde et que l’Etat ne réagit pas ? Souvent les vendeurs viennent eux-mêmes nous proposez, nous artistes, des CD piratés. Voilà, il faut créer une vraie loi qui protège les œuvres artistiques, car s’il y a des vraies lois, tous les gens respecteront nos œuvres, parce que personne n’est au dessus de la loi, même le président de la République.

Fadal Dey vit-il à Bamako ou à Abidjan ?

Je vis à Abidjan chez moi, car je suis bel et bien Ivoirien. J’étais allé vivre à Bamako pendant la crise politique ivoirienne. J’y ai vécu 6 mois et comme je travaillais à faire des prestations sur scène et des featurings, beaucoup de gens pensaient que je vivais définitivement à Bamako. Je suis rentré depuis belle lurette en Côte d‘Ivoire.

On vous a vu chanter « Sida » dans le clip où il y a la comédienne Fanta Coulibaly qui a incarné un grand rôle. Qu’est-ce qui vous a motivé à chanter sur ce thème?

La chanson s’intitulait « Ne l’abandonne pas ». La chanson parlait du Sida, une manière pour moi de sensibiliser sur ce mal du siècle. A ses débuts, nos parents africains avaient tellement peur de cette maladie, que quand on détectait la maladie sur une personne, tout le monde l’abandonnait, le fuyait, même ses parents. Des couples se disloquaient à cause de cette maladie. J’ai chanté pour sensibiliser le public, pour dire que cette maladie ne se contamine pas comme on le pense. On peut bien manger, serrer la main, partager le même plat, partager la même chambre, dormir sur le même lit, utiliser les mêmes toilettes, manger avec quelqu’un qui est séropositif sans être contaminé. Car, ce n’est pas par ses manières que l’on se contamine du Sida. Voilà, la chanson a été bien appréciée et bien prise, tout le monde a aimé et je crois que le message a été entendu. Un séropositif était isolé, laissé à lui-même, personne ne voulait s’approcher de lui par peur, or la solitude tue plus que la maladie. Après, s’il meurt on dit que c’est le Sida qui l’a tué, pourtant c’est nous tous qui l’avons abandonné et avions contribué à sa mort. Le Sida était très mal vu en Afrique, pourtant un séropositif peut très bien vivre pendant plusieurs années quand il a une vie saine. Dieu merci, les gens ont un autre regard aujourd’hui vis-à-vis des séropositifs, ils sont bien vus de nos jours. La chanson est sortie en 2005 et j’ai participé, à travers des chansons à plusieurs campagnes de lutte contre le Sida.

Vous avez des chansons engagées, des chansons révolutionnaires. Cela signifie-t-il que vous faites de la politique ?

Vous-même vous faites de la politique, tout le monde fait de la politique. La politique, c’est la vie de tous les jours. Le fait de me faire une interview, c’est faire de la politique. La politique, c’est la vie. Vous êtes journaliste, moi, je suis artiste, nous sommes en train de faire une interview, si tout de suite il y a des coups de feu et que l’on dit qu’il y a couvre-feu, on ne dira pas que nous sommes épargnés, nous allons tous subir. Le fait d’aller voter, c’est faire la politique. C’est pour vous dire que chaque personne dans son domaine d’activité fait la politique. Donc si vous me demandez si je fais la politique, je vous dirai que je fais bel et bien de la politique.

Un mot à l’endroit de ceux qui aiment votre musique !

Je leur dis un grand merci ! C’est grâce à eux que nous, artistes, nous travaillons jour après jour. Je reviendrai bientôt au Burkina Faso pour faire des concerts dédicaces pour mon dernier album. On fera également des concerts live à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Koudougou et peut-être dans d’autres grandes villes du pays. Je demande à ceux qui m’ont toujours soutenu de continuer à le faire et je promets de faire de mon mieux pour ne pas les décevoir. Je leur fais un big-up et je leur dis à bientôt.

Propos recueillis par Evariste Télesphore NIKIEMA

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