Depuis 2007, année de sortie de son tout premier album « Trop c’est trop », Petit Docteur devenu Grand Docteur par la suite, a su s’imposer sur la scène musicale ouest-africaine de part le contenu virulent de ses textes. Le petit pousseur de barrique d’eau est aujourd’hui l’une des têtes d’affiche du reggae burkinabè.
A quelques semaines de la tenue de son concert live prévu le 27 septembre prochain à l’espace Nana sis à Ouaga 2000, il s’est exprimé à travers cette interview qu’il a bien voulu nous accorder. L’artiste revient sur des souvenirs qui l’ont marqué durant ses 17 ans de carrière, dresse le bilan de son parcours, jette un regard critique sur le reggae africain et aborde sans détour d’autres sujets. Lisez plutôt.
Evasion : comment allez-vous ?
Grand Docteur : je vais bien, il n’y a pas de souci.
Vu la situation socio-politique que traverse l’Afrique, pensez-vous que vos messages ont été perçus par les politiques et les populations ?
Par rapport à l’actualité socio-politique de l’Afrique, je peux dire que je suis très satisfait, surtout de ce qui se passe au sahel. C’est ce qui a longtemps manqué à l’Afrique, voila pourquoi nous sommes toujours à la traîne. Si nous avions eu des Présidents qui s’étaient assumés comme actuellement, nous serions à un autre niveau de développement. C’est ce combat que je mène depuis le début de ma carrière, c’est-à-dire la lutte contre la corruption et l’impérialisme en prônant le développement endogène.
Que pensez-vous de ceux qui considèrent que les reggae makers sont des artistes aigris ?
Je ne partage pas cet avis. Si aujourd’hui je roule dans de petites voitures, cela ne veut pas dire que je ne peux pas rouler dans des voitures de luxe. J’ai eu des propositions pour prendre de l’argent et me taire, mais j’ai refusé. Il y a des artistes qui font les louanges des chefs d’Etats et d’autres qui critiquent la gouvernance ; moi je suis dans ce deuxième wagon. Et c’est la raison pour laquelle beaucoup de journalistes disent que je suis resté constant dans ma position. Quand il faut féliciter, je le fais. J’ai reconnu le bon travail que faisait par exemple Simon Compaoré quand il était à la tête de la mairie de Ouagadougou bien que je ne partageais pas le système de gestion de son parti à l’époque. Moi j’ai lutté contre plusieurs Présidents avant de soutenir Ibrahim Traoré, bien que je ne sois pas dans son cercle d’amis.
Vivez-vous de votre musique ?
(Eclat de rire) … Je peux dire que je fais partie des artistes qui vivent de leur musique. Depuis 2007, je ne fais aucun autre boulot à part la musique. J’ai vendu ma moto pour produire mon premier album et je me déplaçais à pied pendant plus d’une année. Aujourd’hui, j’ai construit ma maison, je paye la scolarité de mes enfants, j’ai construit également une maison pour ma mère et mon premier fils, je m’occupe de ma famille.
En 17 ans de carrière, quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué ?
Il y a d’abord ma première participation aux Nuits Atypiques de Koudougou et ma participation en 2018 en Côte d’Ivoire au Festival Yop Reggae City. A Abidjan, après ma prestation, des artistes comme Hamed Farras et Fadal Day m’ont approché et félicité et m’ont même demandé si je vis réellement au Burkina Faso. Ce sont des moments inoubliables. Et ensuite il y a la scène de la France en 2021 avec KPG devant un public composé uniquement d’Européens.
Pouvez-vous nous parler de votre récent album ?
C’est un album qui continue de cartonner avec le titre « Sing à zéro ». Cette chanson, je l’ai écrite pour dire que tout est à refaire. Après avoir critiqué et dénoncé, il y a eu le titre « politiqua riiba ya tchiparé », pour dire que le piment de la mal gouvernance va toucher tout le peuple si on ne change pas de système. Il faut donc reprendre tout à zéro avec la révision des accords, instaurer la vraie justice pour tous, permettre aux entrepreneurs de construire des infrastructures durables en luttant contre les dix pour cent.
Qu’avez-vous à dire à vos fans ?
Je leur dis encore merci car c’est grâce à eux que je suis là où je suis aujourd’hui. Et je ne peux pas saluer les fans en oubliant les journalistes culturels qui nous accompagnent gratuitement. Je prends le cas de cette interview que vous m’offrez ; même un centime, je n’ai pas pour vous donner. Et que Dieu et les mannes des ancêtres vous récompensent pour vos bienfaits.
Bientôt ce sera les 20 ans de votre carrière, prévoyez-vous un programme particulier de célébration ?
Pour le moment, je suis en train d’y réfléchir, pour voir comment montrer au peuple mon attachement à la patrie, à ma culture, et qui je suis réellement. Il y aura donc un programme alléchant et le contenu vous sera dévoilé au moment opportun.
Pouvez-vous nous parler du concert du 27 septembre prochain que vous préparez ?
Quelque chose de grandiose va se passer le 27 septembre prochain à l’espace Nana sis à Ouaga 2000. Je ne voulais pas me précipiter pour organiser un concert live dans de mauvaises conditions et me retrouver avec des dettes le lendemain. J’ai pris du temps et la nature m’a orienté vers un frère qui a décidé d’organiser ce concert live pour moi. Ce sera du jamais vu à Ouaga 2000 et ce sera l’occasion pour moi de déballer mon nouveau visage.
Qu’avez-vous à dire à nos lecteurs ?
Je les invite à venir massivement au concert live du 27 septembre prochain à partir de 20h ; ce sera leur façon de montrer qu’ils m’aiment réellement. Ensemble nous allons égrainer leur répertoire préféré.
Pensez-vous que le reggae africain se porte bien ?
C’est difficile pour moi de juger le reggae mondial ou africain, mais il faut reconnaître que le reggae burkinabè souffre. Les scènes offertes aux reggae makers se font rares et il n y a pas de mécènes qui font confiance au reggae.
Et que feriez-vous si une grosse maison de production vous proposait de sortir un album dans un autre style musical autre que le reggae ?
Celui qui me propose cela ne m’aime vraiment pas. Je ne peux pas faire autre chose que le reggae. En faisant le reggae, il y a des avantages qu’on perd mais j’ai décidé de m’assumer depuis longtemps.
Quel est votre mot de la fin ?
Je vous dis merci pour la considération et je vous attends pour le grand concert qui sera un rendez-vous de communion.
Propos recueillis et transcrits par Aboubakar Kéré KERSON