Double Kundé d’or en 2021, Donsharp de Batoro né à Yamoussoukro en terre ivoirienne, a connu une enfance impactée par le rap. Transfuge de la formation CPF avec qui il décroche plusieurs prix dont celui de meilleur rappeur à l’université. Il débute sa carrière solo dans le registre binon et remporte le premier prix du Tiercé d’or en 2008.
A travers cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, le parolier des temps modernes revient sur son parcours, son choix pour le slam, nous fait vivre quelques joyeux souvenirs, aborde sans détour d’autres sujets ainsi que son nouveau projet « Wagali » et lève le voile sur sa situation matrimoniale. Pour lui, la musique ne rapporte pas que des espèces sonnantes et trébuchantes à l’artiste, elle change la vision qu’un pays. Lisez plutôt.
Evasion : Comment allez-vous ?
Donsharp De Batoro : Je vais super bien, je suis au meilleur de ma forme, Dieu merci.
Une adolescence impactée par le hip hop et l’on vous retrouve à l’université comme le meilleur rappeur de votre époque. Pouvez-vous revenir sur ces souvenirs ?
Effectivement, je confirme que mon adolescence a été marquée par une époque de rap qui venait de tous les horizons. J’y suis rentré par effet de mode pour ressembler soit à Stezo, Almighty, IAM ou NTM. Je mène les études parce que c’était ça d’abord la priorité et les études nous emmènent sur la terre de nos ancêtres. Alors, je viens à l’université et à l’époque les distractions étaient un peu limitées en dehors des salles des amphithéâtres. Nous avons constitué un groupe appelé CPF (Campus plateforme). Nous avons compéti comme tous les autres groupes à des concours lancés par le CENOU et plusieurs fois nous avons été lauréats. Ce n’était pas pour faire une carrière dans la musique mais pour combler le vide. Ce sont ces beaux souvenirs que je garde.
Que sont devenus les autres membres de CPF ?
Pit Oxy est dans la communication dans une boîte privée, parallèlement, il a son restaurant et Yèrègando est un financier dans un ministère. Je suis le seul qui suis resté dans la musique.
Vous commencez votre carrière solo avec un titre dans le binon qui a connu un franc succès et puis après c’est le revirement dans le slam. Qu’est-ce qui justifie ce revirement ?
Il faut dire que le binon était un coup d’essai qui fut un coup de maître. Je peux dire que je n’ai aucun mérite en matière de binon parce qu’à l’époque, je pense que c’était Kindiss qui nous avait bercés depuis la Côte d’Ivoire. J’essaie le binon et qui remporte le premier prix Tiercé d’Or en 2008. Et l’année qui suit, je perds mon papa, je retourne en Côte d’Ivoire en 2010. Donc, je n’ai pas eu le temps de suivre la promotion de cette chanson qui a marché toute seule. Mais il faut dire que cette chanson a bénéficié du coup de pouce de certaines personnes bienveillantes. Je me rappelle qu’à cette époque, ceux qui m’ont aidé à finaliser le clip, c’est le maquis la Ouagalaise de Joël Simporé avec ses proches collaborateurs comme Dallas Amoulaye. Je tombe sur un grand frère Ibrahim Ologuem qui me dit de m’essayer au slam mais pas à la Grand Corps Malade ni Abdel Malick. Il m’a invité à écouter du Bomou Mamadou car depuis tout petit, j’avais en moi cette histoire de panafricanisme. Et il m’a dit qu’à travers cet art, je pourrais partager mes émotions, ma vision et mes connaissances avec une génération qui va grandir avec moi. C’est comme ça il me propose « L’Afrique vous parle ». C’est vrai qu’il y avait des voix discordantes mais j’avais ma vision sur l’art oratoire. Et c’est bien dommage pour certaines personnes qui n’ont pas compris que le binon est sur mes albums, seulement, je clipe en premier et en deuxième le slam.
Ne regrettez-vous pas ce choix ?
Non, si c’était à refaire, c’est le slam que j’allais mettre au-devant, le slam a l’africaine que moi j’appelle la griotique. C’est la revalorisation d’une identité musicale à l’ancienne qui est née depuis les années 1100 déjà. Là où le slam m’a positionné, je pense que si c’était avec le binon, je serai positionné comme ça. La plupart des cérémonies qui m’emmènent partout au Burkina, en Afrique de l’Ouest et au siège des Nations unies à New-York, c’est grâce au slam. Aux Nations unies où j’ai presté, c’est la salle CR11 et pour l’instant, je suis le seul artiste subsaharien, à la peau noire à y avoir joué. J’ai été en Suisse, en France, en Belgique, à Kanu au Nigeria. La puissance du verbe m’emmène partout. Et tous ces trophées qui émanent de cet art et qui viennent chuter par le double Kundé d’or, chose qui n’avait jamais existé. Je dis merci à Dieu pour les inspirations, à ma famille et mes proches ainsi qu’aux journalistes qui m’ont porté.
Quels souvenirs gardez-vous de ce sacre au Kundé d’or ?
C’était une année double où toutes les catégories étaient doublées, donc c’est un double Kundé d’or. Soundjata est un ancêtre qui veut qu’on lui donne tous les attributs qu’il mérite. C’est un couronnement d’une décennie de pratique d’un art qui n’était pas évident de s’en sortir. Donc les souvenirs sont joyeux.
Vous êtes souvent invité comme Maître de cérémonie. Qu’est-ce qui justifie cette démarche ?
C’est la demande, il y a certains clients qui souhaiteraient me voir dans la durée dans les cérémonies. Généralement, ça se fait sentir dans les mariages qui durent autour de deux heures. En réalité, c’est comme si l’artiste était le présentateur. Je pense que ça a commencé en 2012 avec la course cycliste de sa Majesté le Mogho Naaba Baongo et ensuite, le concours « Je slame pour ma patrie » porté par le SND et la RTB, puis les prix Galian.
A vous écouter, tout semble rose, quelle est la difficulté majeure d’un artiste de votre carrure ?
La difficulté dans mon art est de parfois constater à travers des propos de certaines personnes pour qui on avait de l’estime, sur leur notion de la connaissance de la chose culturelle, musicalement parlant. Soit ils n’ont pas l’angle de vue d’appréciation des efforts des uns et des autres ou soit ils le savent, mais ont décidé de ne pas prêcher cela, ils font semblant d’ignorer.
Vivez-vous de votre art ?
(Il éclate de rire) … Je ne fais rien d’autres à part la musique. Mes enfants vont à l’école grâce à mon art, on s’habille, on se soigne dans la musique, on tend la main comme on le peut grâce à la musique. Sur le plan social, par la musique, j’ai réussi, en collaboration avec des partenaires en Europe Oraf-transplant, à acheminer du matériel de dyalise de près de 200 millions de francs à l’hôpital Sourou Sanou. La musique ne nourrit pas que son homme, elle change la vision d’un pays.
Quelle est votre situation matrimoniale ?
Je suis marié et père de cinq enfants.
Que feriez-vous si l’un de vos enfants décidait de suivre vos pas dans la musique ?
Ah oui, si je détecte le talent très tôt, je prendrai des mesures pour que parallèlement aux études, il ait une base, celui de pratiquer au moins un instrument de musique.
Vous êtes actuellement en studio, il est question de quel projet ?
Comme je l’ai dit sur ma page Facebook, moi, je conçois pour cent ans. Vous avez eu la primeur avant d’autres journalistes d’écouter un titre phare. Ce projet, c’est la révision de la constitution musicale. C’est l’envie d’offrir à l’urbain burkinabè un nouveau produit. Dans les grandes villes, on se rend compte que le marché ne propose pas la musique du terroir mais la musique urbaine d’autres pays. C’est le concept « Wagali » qui veut dire en bambara l’ouverture, en gourounsi ça veut dire les gens de Ouaga, en gulmencema ça veut dire les gens de la solidarité et de la fraternité. Et en français, il y a le verbe lier, Ouaga qui lie les autres ethnies. Il est né dans un contexte de résilience où on demande de s’ouvrir au monde pour que nous puissions nous exporter.
Quels sont les artistes qui sont embarqués dans ce projet ?
Ceux qui ont été appelés et qui ont répondu présents, on a une dizaine d’artistes. Il y a Frère Malkhom, Nabalum, Elue 111, Yang 7, Kindiss Fils, Bougma, Zongo de la Côte d’Ivoire, Flash, Miss Wedra, Abibou Sawadogo, Amzy, Francky Degam, Flora Paré et moi-même.
A quand sa sortie ?
Nous attendons un peu, le temps d’avoir quelques clips. La difficulté des clips, c’est au niveau des mécènes. C’est de voir dans quelle mesure accompagner les projets d’au moins deux clips pour qu’à la sortie, en plus de proposer des audios, il y ait des vidéos pour que les DJ qui souhaiteraient faire une soirée « Wagali », puissent avoir quelque chose pour au moins 45 minutes d’animation. L’objectif est de se retrouver avec 30 ou 40 chansons en une année. Pour la sortie, vous serez informés au moment opportun.
Qu’avez-vous à dire pour conclure ?
Merci à Evasion. Vous faites beaucoup pour la culture. Encore merci pour tout.
Propos recueillis et transcrits par Aboubakar Kéré KERSON