Rencontre

DR BOUKARY SAWADOGO, PROFESSEUR DE CINEMA « Si les archives de Sembène Ousmane ne sont pas sur le continent africain, cela doit nous interpeller »

Notre invité du jour n’est plus à présenter parce qu’il s’est suffisamment fait connaître grâce au  travail bien fait.  Dr Boukary Sawadogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été élu meilleur enseignant de l’année 2022 du Black Studies Program, au City college de New-York. Mieux, le professeur de cinéma et d’études africaines a été officiellement installé chaire Katz en Sciences humaines et Arts à City College of New- York, au titre de l’année universitaire 2024-2025. Présent à Ouagadougou dans le cadre de la 29e édition du FESPACO, il nous a accordé une interview.

 

« Evasion» : Comment appréciez-vous le déroulement de cette édition du FESPACO?

 

Dr Boukary Sawadogo : A l’image des autres éditions, c’est une très belle fête du cinéma.  C’est toujours une fierté pour moi de voir que le pays relève le défi de l’organisation du FESPACO. Pour la petite anecdote, quand j’ai dit à mes proches que je partais au FESPACO au Burkina Faso, la question que beaucoup de personnes ont posée est la suivante : « est-ce que vous êtes réellement sûr ? » De ce qu’on entend, de ce qu’on voit à la télé, le pays n’est pas du tout sécurisé.

 

Vous êtes à Ouaga dans le cadre du FESPACO. Pourquoi avoir fait le déplacement malgré la distance ?

 

La distance  n’est pas importante pour moi.  Pas parce que je suis Burkinabè ou  Africain, mais tout simplement parce que le FESPACO reste un rendez-vous continental panafricain, une rencontre entre les créateurs et les chercheurs. C’est vrai que j’ai réalisé un documentaire et une série web, mais je n’ai pas mis ça en avant. C’est le côté chercheur qui est plus prononcé. Donc, en tant que chercheur, je suis invité par le colloque. Et moi aussi, comme je fais des recherches et la promotion de l’animation africaine, c’est l’occasion de venir voir les dernières tendances sur le continent. On retrouve presque tout le monde ici.

 

A combien peut-on estimer le coût du voyage des USA au Burkina pour prendre part à un évènement comme le FESPACO ?

 

On pourrait dire rapidement, plus de 2500 dollars américains soit environ 1,5 million de F CFA pour le billet d’avion. Si on ajoute le séjour, c’est-à-dire les frais d’hébergement, de déplacement, tout ce qu’il faut, on peut aller au-delà de 2 millions de F CFA.   Si on estime la nuitée d’hôtel à 50 000 F CFA pour 10 jours, nous sommes dans les cinq cent mille.  Sans oublier la restauration.  L’un mis dans l’autre, facilement,  on atteind les 2 millions de F CFA.

 

En français facile, qu’est-ce que le cinéma d’animation ?

 

Le cinéma d’animation est l’une des anciennes expressions artistiques.  Le premier film d’animation qui a été fait en Afrique, remonte à 1916, en Afrique du Sud. Et c’est une expression artistique qui est très dépendante de l’évolution technologique.  Je ne donne pas une définition parce que c’est un exercice assez difficile.  Beaucoup de chercheurs, de théoriciens et de praticiens estiment qu’une définition est difficile, parce qu’au début, l’animation s’est basée beaucoup sur le dessin. Il fallait être bon en dessin, et après, faire des marionnettes, et des marionnettes, on est passé maintenant à tout ce qui est ordinateur. Je dirais que c’est tout simplement raconter des histoires. C’est un médium qui raconte des histoires, mais là où se trouve sa spécificité, c’est de pouvoir insuffler une vie à des objets inanimés.

Et c’est  de là que moi j’ai trouvé que l’animation était éminemment africaine si on considère  notre rapport avec l’univers, le  monde visible et l’invisible.  Si je dois citer Birago Diop, tout a une âme, même le vent. Et en animation, c’est la même chose, d’où le nom animé. Donc, on insuffle une âme, une vie à des objets inanimés, ou bien on donne des caractères humains à des animaux.

 

Quel commentaire faites-vous du cinéma africain en général, et du cinéma burkinabè de façon particulière à l’heure actuelle ?

 

A l’heure actuelle, je pense qu’on est toujours dans une phase de transition. Quand je dis transition, je parle du cinéma africain en général. Jusque dans les années 2000, nous  étions habitués à une génération qui portait le cinéma africain. Et après, il y a une nouvelle génération qui est là, et on a toujours des prix qui sont engrangés. Mais le cinéma africain et burkinabè alimentent le cinéma en général. Même aux Etats-Unis, le cinéma dans les salles, n’est pas en train de disparaître, même s’il est un peu menacé.  Les gens se posent la question sur l’avenir du cinéma. Le cinéma, entendons par là,  cette expérience en communauté dans les salles, en communion dans les salles. Donc, c’est ça le cinéma. De plus en plus, il y a une expérience individuelle avec le streaming. On  se pose la question, qu’est-ce que le cinéma maintenant ? Et cette évolution technologique qui a influé sur la production, la distribution et la consommation, les habitudes de consommation, nous force à revenir sur ce qu’est le cinéma. Si  on prend le cas du FESPACO, on peut se poser légitimement la question : combien de films projetés dans les salles auront une vie en dehors  des festivals ? Des films qui seront disponibles sur des plateformes que l’on pourrait regarder ? Pas beaucoup. Là, il faut être honnête, ce n’est pas beaucoup. La  tendance aujourd’hui  est le streaming, mais avec les géants américains.  Il s’agit, entre autres, de Netflix, Disney,  Hulu. Maintenant, je peux dire que l’Afrique est la nouvelle frontière. La nouvelle frontière dans le sens que le marché est là, en termes de créativité d’histoires à raconter. On est tout juste à la surface. Et c’est à partir de 2020 qu’on  a vu l’entrée réellement des géants américains, sur le marché africain. Je l’ai dit dans la 2e édition de mon ouvrage African Film Studies: An Introduction. A la fin, j’ai dit qu’il ne faudrait pas qu’on répète la même erreur, un peu comme la colonisation.  Ce sera, en fait, une extraction de notre richesse culturelle que ces géants vont venir faire. Et après, une fois qu’ils ont extrait la richesse culturelle, ils seront partis. A nous de savoir l’intérêt de l’Occident à travers ces grandes compagnies. Donc, pour moi, on est dans cette transition technologique, et l’Afrique reste une richesse culturelle et créative. Mais en même temps aussi, on n’arrive pas à trouver des moyens pour réellement développer notre potentiel.

 

Que faut-il comme actions pour bâtir une industrie du cinéma en Afrique comme Hollywood ?

 

Pour moi, il faut repenser toute la chaîne. Cette réponse sera longue, mais il faut repenser toute la chaîne. Parce que, si on prend le cinéma africain, et quand je parle du cinéma africain, je parle de depuis les indépendances jusqu’à présent.  Pour moi, l’accent continue d’être mis sur la production. On veut faire des films, on veut faire des films. Et pour faire des films, il faut trouver un financement. Il y a peu d’efforts qui sont mis avant et après. Et pour moi, il ne faut pas seulement produire des films, mais les films doivent avoir une vie. Donc, au niveau de la distribution, à Ouagadougou, on a la chance qu’il y a une culture cinéphile qui est développée. Il y a des salles de cinéma mais il y a certains pays où il y a peut-être une salle dans tout le pays. On doit  réimaginer les salles. Je prends un exemple. Quand j’étais à Kerala  pour le festival en Inde,  j’ai vu des salles qu’on pourrait appeler des modèles. Si vous entrez dans la salle, les chaises sont très confortables, plus que dans le salon de beaucoup de personnes. Et sur le bras, vous avez un code QR. Vous pouvez le  scanner avec votre téléphone.  Il y a un menu de repas, un menu de boissons, vous commandez, et là, tout vient. On a fait tout pour que vous vous sentiez comme chez vous. Au niveau aussi des festivals, jusqu’à présent, le système de curation n’a pas beaucoup changé. Il y a les séances de projection, et à côté, il y a des panels,  des formations, mais ça s’arrête là. Donc, il faudrait qu’on imagine le festival au-delà de ça.  Je peux étendre ça aussi comme le musée, parce que  dans sa conception, le musée  est occidental. Comment, nous, nous pouvons  nous approprier le musée dans une conception africaine ?

Je pense aussi qu’il y a une question  qui est complètement  occultée, qui est celle de l’archivage. On produit des films  mais ces films sont archivés et présentés où? Où ces films sont-ils restaurés ? Où et  comment pour la postérité, pour aussi inspirer les jeunes? C’est une question que l’on se pose rarement. Je pose cette question parce qu’il y a un mouvement mondial qui a été enclenché avec la sortie du rapport de Bénédicte Savoy  sur la restitution des objets  d’art africains. Mais son pendant cinématographique n’a pas eu lieu parce qu’on a, dans le monde occidental, beaucoup de copies de films africains dont on ne connaît même pas le nom, dont en Afrique, souvent, on n’a même pas les copies. Et de deux, il y a des archives de cinéastes, de pionniers du cinéma africain qui ne sont pas ici. On  risque de me taper sur les doigts, mais  je vais donner des noms. On a, par exemple, les archives de Sembène Ousmane. Les archives de Sembène Ousmane sont à l’université indienne aux Etats-Unis. Les archives aussi de Paulin Soumanou Vieyra qui a  son buste au siège du  FESPACO. Pour moi, il est  le premier historien du cinéma africain. Ses archives sont là-bas. Une partie des archives  de Med Ondo de la  Mauritanie, est en France. Pour moi, c’est symbolique. Si les archives de Sembène Ousmane ne sont pas sur le continent africain, cela doit nous interpeller. Parce que je sais que pour beaucoup d’entre nous qui suivons l’actualité, le gouvernement sénégalais est intervenu pour racheter les  archives de Léopold Sédar  Senghor.  Pour moi, on doit avoir cet élan-là aussi. C’est la raison pour laquelle je parle de toute la chaîne. Aussi, enseignons nos cinémas dans nos écoles. On a tellement de grands réalisateurs là, qu’on n’a même pas besoin      qu’on fasse référence à des grands réalisateurs occidentaux, russes ou de l’Amérique latine. Je n’ai rien contre eux. Mais on a déjà un corpus depuis les années 60. Prenons  nos cinéastes comme des références.

 

Dr Boukary Sawadogo compte-t-il revenir au Burkina pour transmettre son savoir ?

 

Oui, si on me donne l’opportunité de le faire, je le ferai. En 2021, j’avais organisé une formation sur la critique littéraire et cinématographique. Donc, il y a beaucoup de jeunes qui sont venus. Le dimanche dernier (23 février 2025), j’étais sur la RTB (Radio télévision du Burkina). Les étudiants d’une Université de la place m’ont exprimé le besoin. Donc, j’ai pris les contacts. Je le ferai volontiers. Je le fais pour d’autres pays. Je le ferai pour le Burkina et l’Afrique.

 

Quels sont les dangers  qui guettent les immigrés africains aux USA avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ?

 

Je pense que le décret qu’il a signé initialement, je dis bien initialement, si on va à la lettre du décret, c’est l’expulsion des sans-papiers ou bien ceux qui sont entrés par la frontière Sud. Maintenant, on sait aussi que c’est la lettre du document. Moi, je dis, le danger ou en tout cas la menace, c’est qu’il y a beaucoup qui risquent, pas uniquement des Africains, de se retrouver déportés. Voilà, ça c’est le risque.

 

Votre mot de fin

 

C’est un appel que je lance au FESPACO, sur  le cinéma d’animation. Historiquement, ce médium a été sur le continent pendant longtemps. Et si on prend actuellement ce qui tire la production, l’animation et le gaming, les jeux vidéo, il faudrait qu’on lui donne une certaine place. Il faut qu’on ait un prix Moustapha Alassane en plus du prix spécial décerné 24 heures avant la fin du festival. Il est considéré comme le père de l’animation africaine. Donc, je pense qu’on doit avoir le prix Moustapha Alassane pour l’animation. Pas un prix spécial, mais un prix de compétition officielle qui sera remis le jour de la remise des prix officiels.

 

Issa SIGUIRE

Articles similaires

ZINSOU GERMAIN, A PROPOS DE LA RECONCILIATION NATIONALE: « L’heure a sonné pour le Burkina »

Evasion Magazine

DR BOUKARY SAWADOGO, PROFESSEUR DE CINEMA: « Si les archives de Sembène Ousmane ne sont pas sur le continent africain, cela doit nous interpeller »

Evasion Magazine

laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.