Aïcha Koné est une chanteuse ivoirienne chantant principalement en dioula (malinké). Elle a une longue et riche carrière de plus de 50 ans. Elle est parmi les doyennes de la musique moderne ivoirienne. C’est une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui dit haut et fort ce qu’elle pense et interpelle sur ce qu’elle voit, surtout en politique, c’est une femme engagée politiquement. Nous l’avons rencontrée à Abidjan à son domicile. Dans l’interview qu’elle nous a accordée, elle parle de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), de sa vision sur l’Afrique, de son combat, de Ouagadougou où elle souhaite livrer un concert dès que l’occasion se présentera.
Ces temps-ci, on ne vous voit pas beaucoup sur la scène des podiums ni faire des sorties discographiques. Qu’est-ce qui se passe ?
Aïcha Koné :
Je suis trop concentrée sur la situation politique de mon pays la Côte d’Ivoire et de l’Afrique. Ces derniers temps, j’étais en tournée au Niger, je suis rentrée il y a à peine quelques jours. Je suis au studio par rapport à d’autres projets. Et puis, ce n’est pas tout le temps qu’on a besoin d’un artiste sur scène. On a besoin parfois de se mettre en retrait, de chercher, d’avoir d’autres inspirations.
Le Burkina, le Mali, le Niger font face au terrorisme depuis une décennie, quel message avez-vous à l’endroit de ces pays?
Je leur souhaite toutes les chances qu’une mère peut souhaiter à ses enfants. Dernièrement, j’ai vu qu’il y a eu pas mal de pertes au niveau du Burkina (Barsalogho), j’ai aussi suivi ce qui se passe au Mali avec la Mauritanie. Nous sommes de cœur avec eux. Je m’incline devant tous ces valeureux soldats qui sont tombés de part et d’autre. Mais la liberté a un prix et on ne désespère pas pour un lendemain meilleur pour notre Afrique.
Vous avez parlé d’un voyage effectué au Niger, que pensez-vous de l’AES?
L’AES, c’est une organisation que nous soutenons, nous qui rêvons d’avoir notre indépendance. En Afrique, ce que l’AES fait nous intéresse. Parce que c’est la même pensée, la même vision de notre Afrique. L’AES c’est une organisation que moi Aïcha je soutiens.
Vous avez rencontré il y a quelques semaines le président nigérien, le président du Mali et également le président du Faso. Qu’avez-vous dit à ces trois hommes forts de l’Afrique?
C’est vrai que nous ne sommes pas tout le temps auprès d’eux, mais (rire…) c’est toujours la même pensée que nous avons. Nous sommes loin mais nous sommes tout à côté. Et nous suivons de près ce qu’ils font. Ils ont nos encouragements. C’est ce que je leur dis toujours quand j’ai l’occasion de les rencontrer, pour dire que nous sommes conscients de la lutte qu’ils mènent pour le bonheur de tout bon Africain. Nous sommes avec eux, loin des yeux, près du cœur.
Vous avez des positions par rapport à la politique africaine, et souvent vous êtes mal comprise parce que d’autres vous jettent la pierre sur les réseaux sociaux. Qu’avez-vous à dire?
Bon c’est normal. On ne peut pas plaire à tout le monde (rire…). Moi je me dis qu’il faut espérer, parce qu’avec le temps on se comprendra. Mais ça se passe bien pour moi, dans ma tête, dans mon esprit. C’est un combat noble que je mène, donc il n’y a pas lieu de se décourager, de faire marche-arrière, on s’en va.
Que pensez-vous de la musique africaine et la musique ivoirienne, parce qu’on voit beaucoup de femmes qui se sont lancées dans la musique et qui vous prennent comme exemple, vous qui êtes une icône.
La culture est un facteur de développement pour un pays. Ceux qui l’ont compris pourront faire chemin avec nous dans cette carrière. Regardez un chef d’Etat comme Sékou Touré de la Guinée Conakry ; il a mis le paquet pour faire connaître les grands ballets africains. C’est la culture qui a vendu la Guinée en dehors même du continent. Ils ont fait les Amériques, l’Asie et tout le monde entier avec des grandes voix comme Sorry Kandia Kouyaté et autres. Un exemple à suivre c’est celui du président Sékou Touré qui a compris qu’il faut compter avec l’art quand on veut faire avancer une Nation. On a vu le cas de Pelé, sorti d’une famille pauvre et tout, mais il a vendu le Brésil à partir de son art qui était le football. La culture peut vendre un pays, peut hisser un pays là où on ne s’y attend pas.
Mais à votre temps, je veux dire à vos débuts, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui faisaient la musique…
Oui, il n’y en avait pas mais les choses évoluant, il y a beaucoup de jeunes artistes qu’on peut citer en Côte d’Ivoire comme en dehors, qui font leur bon bout de chemin.
Il y a un de vos fils, Tshaga qui fait également de la musique. C’est vous qui l’avez orienté ou c’est venu de lui-même?
Non. Tshaga, il a une belle voix, et puis il n’a pas grandi avec moi. Il était en Europe, et quand il est venu ici en Côte d’Ivoire, tout le monde a trouvé qu’il chantait bien. Ça lui arrive de temps en temps de faire des concerts, mais il est beaucoup plus business quand même que la chanson (rire…). Les enfants de maintenant connaissent tôt l’argent. Il est beaucoup dans les affaires. A ces moments perdus, il fait de la musique avec nous.
A quand alors un featuring entre maman et fils ?
On a déjà un feat (rire…). Le public a aimé. Ça va, il a une belle voix, je ne sais pas s’il va continuer, mais moi je me trouve beaucoup plus engagée, sûrement à cause de mes expériences, de celle qui m’a inspirée, Myriam Makeba. Ça a fait que je suis entrée dans la politique sans le vouloir. J’ai eu accès aux premières personnalités de pas mal de pays. Ainsi, les choses sont venues. Moi, pour que je m’intéresse à la politique, il y a eu la voix de Myriam Makeba que j’entendais chanter, qui semblait même pleurer. Mes sœurs m’ont expliqué pourquoi c’était comme ça, et elle m’avait déjà intéressée. Et quand j’ai été en Guinée Conakry où elle vivait en tant que refugiée politique, sur invitation du président Sékou Touré, c’est lui qui m’a offert des livres. Et parmi ces livres, il y en avait qui parlaient de Jomoh Kenyatta, de Sadass, de Bourguiba, de Kwame Nkrumah, de pas mal de chefs d’Etat. Je crois que c’est Sékou Touré qui m’a poussée à m’intéresser à l’Afrique, mon continent. Parce qu’il m’a dit, on ne chante pas pour le plaisir de chanter, mais intéresse-toi à ton continent, découvre les grands hommes qui se sont battus pour cette Afrique. Le président Sékou Touré y est pour quelque chose dans ma vie culturelle politique, en plus de ma fréquentation avec la grande Myriam Makeba.
Quand vous dites que vous vous intéressez à la politique, est ce qu’on peut s’attendre à vous voir un jour candidate à la mairie ou à la députation?
Je ne sais pas. Je ne rêve pas de posséder un poste de ce genre. Mais je veux servir mon pays, mon continent, apporter ma voix. Parce que je ne suis pas à sous-estimer. Je suis une femme très suivie, très écoutée, je plais comme je dérange. Ça j’en suis consciente. Je crois que c’est déjà beaucoup pour moi, c’est un poste assez important.
A quand un concert à Ouagadougou?
J’attends qu’une bonne occasion se présente. Ça me plaît toujours de partager mon art avec d’autres personnes. Les invitations seront les bienvenues.
Un mot pour conclure…
J’embrasse tout le Burkina, et bonne chance toujours au président Ibrahim Traoré et tout son gouvernement. La lutte continue, on n’est pas loin du bout du tunnel, ça ira inchallah.
Interview réalisé a Abidjan par Evariste Télesphore NIKIEMA