Pathé Ouédraogo, dit Pathé’O, est un styliste burkinabè, né en 1950 à Guibaré, dans le département du même nom, installé dans les années 1970 dans le quartier Treichville d’Abidjan. Cet ivoirien d’adoption acquiert une renommée internationale, notamment pour avoir habillé le président Nelson Mandela. La Maison Pathé’O, fondée par le visionnaire Pathé’O, unit savoir-faire artisanat et expression culturelle, depuis plus de 50 ans. Nous avons rencontré Pathé’O, le tailleur de quartier devenu aujourd’hui le couturier de beaucoup de chefs d’Etat africains. A travers cet entretien, il nous parle de son travail, sa vision et le futur de la maison Pathé’0. Pour lui, « la mode n’est plus un métier rêvé ». Lisez plutôt.
Evasion : Bonjour Pathé’O ! en quelques mots dites nous qui est Pathé’O ?
Pathé’O : Je suis Ouédraogo Pathé, un créateur de mode. Ma vie c’est la mode, c’est créer, transformer, innover. C’est valoriser tout ce qui est habit.
En 2025, quelles sont les collections que vous nous présentez ?
Les collections ce sont l’ensemble des coutures que nous travaillons ; il faut noter que la mode africaine est à part, différente de la mode européenne, car chez eux, les créateurs travaillent par saison (hiver, printemps ; été, printemps.). Ici, nous créons africain avec la matière très souple, ce qui peut être porté en période de chaleur comme de fraîcheur.
La spécialité Pathé’O c’est les chemises ?
Mais non, la chemise est une des techniques des créateurs tous azimuts,
Mais quand on parle de Pathé’O, les gens voient les chemises !
Oui, les chemises je les ai imposées parce qu’à l’époque, tu ne peux pas voir un responsable politique africain porter une chemise pour sortir ; c’était rare. On a remarqué que la chemise n’était pas portée par les africains, sauf ceux qui la portent sous une veste. Nous avons donc pensé et vous le savez la pensée est aussi accompagnée d’une motivation et d’une chance. Moi ma chance, c’est la chemise que j’ai créée pour le président Nelson Mandela de l’Afrique du Sud, qui a d’ailleurs fait le tour du monde. Cela a fait beaucoup d’effet au niveau de l’Afrique et les africains ont commencé à porter la chemise Pathé’O sans complexe. Sinon avant, les gens ne portaient pas la chemise pour sortir, les fonctionnaires la trouvant très dégradante. C’est à partir de Nelson Mandela que la chemise a pris de la valeur.
Est-ce que beaucoup de présidents africains ont adhéré à la création ?
Oui, il n’y a pas mal qui ont adhéré mais nous avons continué parce que ce n’est même pas trop demandé. De toute façon, nous n’avons pas le choix. C’est notre habillement, nous sommes les meilleurs producteurs de coton au monde. Donc, en principe, ce coton devrait être transformé en chemise, boubou, veste. Ce n’est donc pas normal de ne pas en faire. C’est donc logique ce que nous faisons parce que si nous ne le faisons pas, qui va le faire à notre place ? En tout cas, la plupart des gens portent mes nouvelles créations et cela est bien. Force est de savoir que beaucoup reste à faire.
Vous avez habillé le regretté Pape François ; dites-nous comment s’est faite votre rencontre
Non, je ne l’ai pas habillé ; j’ai juste rencontré le Pape François parce que je voulais comprendre la religion et il nous a reçu et nous a expliqué ; je lui ai même envoyé un colis de chemises, et il l’a accepté. C’est une grande chance pour moi car ils ne sont pas nombreux ceux qui peuvent rencontrer un Pape. Même les gens plus proches n’ont pas cette chance, mais nous on l’a eue.
Quand on travaille, on pense toujours à la retraite ou à la relève. Est-ce que vous pensez aller à la retraite ?
Le métier que nous faisons c’est quand on est fatigué. Si a un moment tu ne peux plus, tu es obligé de jeter l’éponge. En tout cas, nous on travaille encore parce que c’est tellement excitant tu as l’impression que quand tu ne travailles pas, tu vas mourir. Il n’y a pas d’âge, rester sans travailler est ennuyant ; moi je pense que le travail pour nous c’est toute la vie.
Vous pensez mettre parmi vos enfants, un enfant qui va faire un jour ce que vous faite, la couture comme vous ?
On ne met pas un enfant dans la couture parce que la couture est un métier ; donc les gens peuvent tous travailler dedans y compris mes enfants. Mais ce n’est pas une orientation pour dire que toi tu prendras ma place. Non quand je ne suis pas là c’est la personne qui sait travailler qui me remplace. La question est de pouvoir maintenir la Maison Pathé’O, mais cela n’est pas évident car cela demande un caractère, un comportement, une volonté de pouvoir hérité de la maison Pahé’O; il y a aussi la connaissance qu’il faut avoir.
Mais est-ce que vos enfants s’intéressent à la couture ?
S’intéresser à la couture, mais pas tel que nous l’avons adopté. C’est un travail qu’eux-mêmes aiment, ils regardent et participent. Le problème est que dans la couture, on apprend, on se forme mais malheureusement, je n’ai pas pu les former tel que je voulais. Mais ils sont dedans comme les choses changent. Ce n’est plus pratiquement celui qui est sur la machine qui fait la mode. La mode se fait ailleurs donc je pense qu’ils auront leur chance aussi.
Pathé’O fait des effets de mode chaque année ?
Ça dépend des circonstances. Par exemple, on était au FESPACO 2025 à Ouagadougou ; on a fait un super défilé que tout le monde a apprécié. Un défilé coûte énormément de l’argent. En effet, un défilé de mode absorbe énormément de temps et beaucoup d’argent. Donc chaque année, ce n’est pas toutes les maisons qui peuvent faire de grands défilés. On aime les vrais défilés où tu as toutes les collections, tout ce qu’il y a comme lignes ; couleurs, création et aisance. C’est ça et cela coûte beaucoup cher.
Est-ce que vous pensez créer une école de couture, un centre de formation pour former les jeunes plu tard ?
En réalité, aujourd’hui en tout cas, les centres de formation au niveau de la Côte d’Ivoire, de grands centres de formation de couture, il n’en existe plus. A l’époque, il y en avait beaucoup mais les gens ont déserté tout d’un coup. Ils trouvent que ce n’est pas productif. Les anciens même qui sont dedans ne s’en sortent pas. Il faut dire aussi que de nouvelles choses sont venues en Afrique ce qui a affaibli l’apprentissage. Les jeunes africains ne veulent plus apprendre. Ils n’ont plus ce temps. On veut tout de suite être footballeur, aller en France, les choses instantanées. Maintenant pour avoir un vrai apprenti de couture, c’est compliqué. J’étais à une conférence de presse, de la mode et après, on a débattu sur ce sujet. Aujourd’hui, si vous cherchez un apprenti pour vous épauler dans un atelier de couture, c’est très compliqué d’en avoir. Donc, c’est pour cela vous voyez un ralentissement. Même les jeunes couturiers qui sont formés, ils ne veulent plus continuer à se perfectionner. Dès qu’ils savent coudre une chemise, c’est fini, ils quittent et se mettent à cinq ou à six, chacun avec sa machine dans une petite maison pour travailler à leur propre compte. Pour dire que la mode n’est plus un métier rêvé. Peut-être que ça va venir, forcément ça viendra parce que les gens vont se rendre compte qu’il n’y a que dans la mode que l’on peut tout avoir. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, même pour avoir un bon apprenti, c’est tout un problème. Donc, si tu décides de confier l’atelier à tes enfants, ce n’est pas mauvais en soi. Mais, Il faut réellement que cela les intéresse. Là, ils ne vont pas se casser la figure parce que la mode c’est quand ça marche que les gens viennent chez toi. Si tu veux laisser l’héritage à tes enfants, il faut s’assurer qu’ils sont bien formés, et qu’ils vont bien entretenir la maison.
Un mot pour conclure?
Moi, je dirai tout simplement que si quelqu’un veut apprendre, qu’il soit armé de courage, de patience surtout de volonté, et avoir aussi quelque chose dans la tête.
Interview réalisée à Abidjan par Evariste Télesphore NIKIEMA