Titulaire d’une maîtrise en lettre moderne, Martin Zongo est l’administrateur général du carrefour international du théâtre de Ouagadougou (CITO). Originaire de la localité de Gouim dans la province du Boulkiemdé dans le Centre-Ouest du Burkina Faso, il a été professeur de français et haut-commissaire. Homme de culture aguerri, il a bien voulu se prêter à nos questions à travers cette interview réalisée au sein du Cito.
Martin Zongo revient sur sa passion pour le théâtre, parle des difficultés du milieu, de son quotidien, des projets, des souvenirs, aborde sans détour d’autres sujets et lève le voile sur sa situation matrimoniale. Lisez plutôt.
« Evasion » : Comment allez-vous ?
Martin Zongo : Je vais très bien, merci de venir me voir. On gère dans le contexte marqué par le Covid-19 qui nous impose un certain nombre de restrictions.
D’où vient cette passion pour la culture plus particulièrement celle du théâtre ?
Je dois dire que tout a démarré déjà dès l’enfance. J’ai eu la chance d’avoir un grand frère qui était instituteur et qui m’a pris sous son aile dès mon CP2 et c’est la petite communauté des instituteurs qui étaient les acteurs d’animations culturelles. Et je peux encore remonter plus loin pour dire que mon papa était un tambour majeur dans le village. Ce sont tous ces éléments qui ont fait germé en moi cet amour pour la chose culturelle. Mais le déclic véritable est parti de l’université parce qu’en première année, nous avons eu des professeurs qui nous enseignaient la matière du théâtre, notamment le regretté Jean-Pierre Ginguané, Prospère Compaoré, pour ne citer que ces deux-là.
Pouvez-vous nous présenter le CITO ?
C’est une structure que je qualifierai d’atypique parce que le Cito n’est pas une compagnie, ni une troupe. C’est un creuset qui rassemble en son sein les différents métiers du théâtre. Vous avez des comédiens, des techniciens, des administrateurs, des auteurs-dramaturges, des scénographes, des metteurs en scène, des chorégraphes, des danseurs… Le Cito représente la plus grande structure culturelle de notre pays, nous comptons plus de 600 adhérents. Nous collaborons également avec un certain nombre de personnes morales qui sont au nombre d’une cinquantaine.
Vous avez été professeur de français, pourquoi avoir quitté l’enseignement ?
J’ai été déchiré entre deux passions. Je ne suis pas allé à l’enseignement parce qu’il n’y avait pas de travail. Entre temps, j’ai été attiré par l’univers culturel, notamment par le théâtre parce que c’est un monde qui a aussi son charme et aussi ses difficultés. Après avoir enseigné de 1983 à 2003, j’ai décidé de changer de corde dans mon arc et de venir dans la promotion culturelle.
En tant que professeur de français, vous touchiez un salaire à la fin du mois, ce qui n’est pas le cas actuel, ne regrettez-vous pas ce choix ?
Vous touchez du bout du doigt un problème délicat, disons même cruel de notre univers culturel. Au moment où vous faites cette interview, l’administrateur du Cito que je suis jusqu’au gardien, nous entamons notre cinquième mois sans salaire. Ce n’est pas cette année seulement que ça se passe ainsi, c’est récurrent. Nous sommes dans un univers aléatoire. Alors pour demeurer dans cet univers, il faut aimer. En 2010, nous avons atteint le pic, nous avons passé dix mois sans salaire. C’est la passion qui nous anime dans ce secteur que l’on peut considérer comme ingrat. Il n’y a pas de regret.
Le théâtre nourrit-il son homme au Burkina Faso ?
Disons que oui et non. C’est comme dans tout corps de métier. La majorité de ceux qui œuvrent dans l’univers du théâtre ne vivent pas de leur art, pas pour le moment. Mais nous pouvons citer un certain nombre de personnes qui vivent de leur art.
Vous par exemple, vivez-vous personnellement de votre art ?
Si c’est de mon art, je ne peux pas dire que je vis bien mais j’ai la chance d’avoir des situations particulières qui attenuent ce que je pourrais appeler difficultés. J’ai une épouse qui travaille, j’ai une famille qui peut me venir en secours si j’en ai besoin.
Quel souvenir gardez-vous de la période où vous étiez Haut-commissaire ?
C’est un souvenir très fort. La révolution a marqué d’une façon indélébile le cours de l’histoire de notre pays. Si on fait un sondage dans le cœur de certains Burkinabè, ils regrettent un peu ce qui se passait sous la révolution. Chacun se dit aujourd’hui si Sankara était là. Je prends l’exemple du terrorisme aujourd’hui. Sous Sankara, ce phénomène n’aurait pas pu s’installer ici, c’est la même chose pour la gouvernance, la corruption. Sous la révolution, il y avait une rigueur morale qui était imposée. En quatre ans, il y a eu un bouleversement qualitatif. Je ne dis pas cela parce que j’ai bénéficié de la révolution. Quand je quittais mon poste de professeur de français, j’avais 120 000 francs et quand j’ai été nommé Haut-commissaire, mon salaire me revenait à 86.000 francs et nous, on n’avait pas de caisse noire.
Quels sont vos projets en cours en matière de création ?
« L’os de Mor Lam 3 fait partie des créations qui ont eu le plus de succès. C’est une œuvre d’Issaka Sawadogo, ce jeune est en train de porter haut le flambeau du Burkina dans le monde cinématographique international. Il y a eu d’autres créations à succès comme « L’éléphant du roi ». Pour 2020, nous avions quatre créations dans le collimateur. La première création est une œuvre commune d’un consortium de quatre promoteurs culturels que sont l’Institut Imagine, Le fonds Succès Cinéma, le Cartel et le Cito pour apporter une contribution contre le phénomène de l’extrémisme violent. Nous avons commencé le 12 mars dernier, mais la création a été frappée par les mesures prises contre le Covid-19. Le projet propre du Cito devrait être lancé depuis le 20 avril qui est la seconde création, la troisième création concerne un texte que le comité artistique allait décider, il n’est pas encore défini et le quatrième spectacle est une coproduction entre Irène Tassambédo et le Cito qui porte sur la vie des femmes. Nous sommes à la moitié de l’année et nous sommes empêtrés dans la réalisation du premier projet, ce qui veut dire que les autres aussi connaîtront un impact dans leur réalisation.
Quelles sont vos sources de financements ?
Nous avons une principale source de financement qui est notre partenaire de longue date qui est le bureau de la coopération Suisse avec lequel nous avons signé une dernière tranche de convention 2019-2022. Outre ce partenaire, nous essayons chaque jour de rechercher d’autres partenariats notamment le ministère de la Culture. Vu notre utilité, je crois que le ministre a reçu notre cri de cœur afin que son aide vienne nous soulager un tant soit peu.
Pensez-vous que le Burkinabè va-t-il au théâtre ?
Le public vient au théâtre. Notre public est assez exigeant. Si vous lui servez du bon, il est là. Le centre qui est à cheval sur l’heure c’est le Cito. Nous commençons à 20h et le public est toujours à l’heure. Cela fait 17 ans que je suis là et nous sommes à la 45e création majeure, il n’y a pas un seul spectateur qui est sorti insatisfait.
Quel est votre quotidien ?
C’est un contenu qui est vaste et varié. Il y a le traitement du courrier qui est abondant, les audiences car il n’y a pas à demander de rendez-vous, l’implication dans la vie artistique et culturelle nationale, ensuite l’exécution du programme de la maison sans oublier les formations. Je peux venir au Cito le matin à 6h et retourner à la maison à minuit.
Quelle est votre situation matrimoniale ?
Je suis marié depuis 1986 et j’ai trois enfants dont la dernière prépare actuellement son doctorat en sciences économiques à Dijon en France.
Qu’avez-vous à dire pour conclure ?
Je salue tous les lecteurs de votre journal et je leur demande d’avoir un regard attentif pour tous les acteurs qui font la promotion de la culture et des arts de notre pays car c’est à partir de notre pays que nous devons préparer les succès internationaux des différents acteurs. Merci à votre équipe de rédaction.
Propos recueillis et transcrits par Aboubakar Kéré KERSON