KPG à l’état civil Kientega Pengdwend Gérard est en passe d’être le conteur le plus adulé du continent africain. Originaire du village de Naaba Rim Yè où il a grandi, c’est à Boussé qu’il suit son cursus secondaire avant de débarquer à Ouagadougou en 1998 et intègre des troupes théâtrales. Sa véritable formation débute à l’Atelier théâtre burkinabè (ATB) et il se perfectionne au festival Yeleen à Bobo-Diouasso.
Auteur de plusieurs créations majeures à succès dont « Puma airway », «Au village du forgeron », « Parole de forgeron », « Ragandé », « Soupiim », « Kosyam », qui le font voyager à travers plusieurs pays du monde, KPG a su se faire une place dans la cour des grands en décrochant plusieurs prix internationaux. Il s’agit, entre autres, du prix des jeux de la Francophonie en 2009, du prix du développement culturel de la ville de Viborg au Danemark en septembre 2010, du prix des arts de l’oralité au Bénin, du prix des jeux olympiques d’hiver à Vancouver, des Lompolo. A travers cette interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, cet artiste- conteur atypique nous parle de sa passion, jette un regard critique sur la culture, aborde sans détour d’autres sujets, raconte son quotidien, les difficultés liées à son métier et lève le voile sur sa situation matrimoniale. Lisez plutôt !
Evasion : Comment allez-vous ?
KPG : Je vais très bien, tout se passe bien. Je viens de rentrer d’une tournée en France.
De quelle tournée s’agit-il ?
Il s’agit de la tournée du spectacle « Ragandé ». C’est un spectacle qui est à l’image de la place du village où l’on retrouve la musique et le chant qui donnent de l’énergie aux spectateurs. Tout cela, pour montrer à la face du monde que l’Afrique a aussi de la valeur et de la compétence à travers la parole. C’était du 22 au 27 janvier à Marseille. Ensuite, nous avons joué dans plusieurs salles de théâtre à Paris jusqu’en février avant de faire un travail d’atelier avec des écoles. J’ai aussi édité des livres, en l’occurrence « Parole de forgeron », « Le conte à l’école » et « Kosyam ».
D’où vient cette passion pour le conte ?
J’ai joué dans une pièce de théâtre, et Ali Diallo de Umané Culture m’a invité à Bobo-Dioulasso au festival Yeleen en 1999. A la suite d’une formation, il m’a programmé en tant que conteur. Même dans les pièces de théâtre, on me programme en tant que conteur. Vraiment je ne sais comment c’est réellement venu.
La forge est au centre de toutes vos activités. Qu’est-ce qui justifie cela ?
Chacun raconte ce qu’il connaît et ce qui est en lui. On ne peut pas écrire ce qui n’est pas inscrit. Je suis issu d’une famille de forgerons et de masques qui nous a transmis des valeurs. On connaît aussi la place du forgeron dans la société. J’ai eu la chance d’avoir un père qui m’a beaucoup parlé de la forge, de ses métaphores et de ses symboliques. J’ai été très fasciné par cela, d’où dans mes créations il y a toujours une note du feu. C’est cette énergie de la forge qui me donne la force d’écrire mes histoires.
Quelle est la place du forgeron dans la société traditionnelle africaine ?
Le forgeron joue le rôle de médiateur. En cas de conflit et quand l’on a épuisé toutes les voies de recours face à une situation qui menace l’équilibre, c’est en ce moment qu’on fait venir le forgeron pour rétablir l’harmonie afin que la cohésion puisse s’installer.
Pensez-vous que le public s’intéresse au conte ?
Le public s’intéresse au conte. Chaque fois, quand nous avons l’occasion de présenter un spectacle de conte, il est bien accueilli par le public qui y reconnaît ses origines. Aucun peuple ne peut se développer sans ses racines. Et à chaque fois que nous racontons des histoires qui s’inspirent de notre tradition, toutes les personnes connectées se reconnaissent et sont fières.
Quelle est la difficulté du conte au Burkina Faso ?
Ce qui nous manque, c’est l’accompagnement des autorités pour nous permettre d’enseigner le conte à l’école, à l’image de mon projet qui nous a permis d’investir les écoles pour réécrire l’histoire des quartiers, pour permettre à nos enfants de magnifier nos héros, afin de permettre de savoir que chez nous aussi il y a des savoirs et des savoir-faire, et que l’on peut rêver à partir de notre culture. Si nos enfants rêvent à partir de la culture des autres, ne soyons pas étonnés qu’ils se comportent comme le voisin. Si vous observez la situation actuelle du Burkina, c’est tout simplement parce que les gens ne savent pas qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. On dit que ce sont les autres qui nous instrumentalisent, mais pourquoi nous n’arrivons pas à les instrumentaliser.
Qu’avez-vous déjà mené comme activités après le projet « Dans les écoles » ?
J’ai mis en place « l’atelier de la forge » qui consiste à faire deux choses : l’aspect métaphorique qui montre le côté philosophique des outils de la forge qui permettent à chacun de pouvoir conduire et cultiver sa vie. Le second volet est de redonner à la forge sa mission créatrice, de fabrication d’outils capables de permettre à l’humanité de pouvoir vivre et se protéger. En regardant les différentes marques de voiture, on oublie que c’est le travail des forgerons. Je souhaite que soit montée une unité semi-industrielle à partir de la forge. Il faut sortir notre peuple de cette misère morale. Celui qui renie ses ancêtres ne peut pas défendre sa culture.
Votre création « Kosyam » ne cache-t-il pas un engagement politique ?
(Eclat de rires)… En ce qui concerne ce spectacle, il y a eu «Kosyam 1 » et « Kosyam 2 ». La première traite de la question de l’insurrection populaire. C’est une fable contemporaine que j’ai écrite. Dans cette fable, ce sont les animaux qui racontent l’insurrection populaire. Quand j’ai présenté « Kosyam 2 », les gens trouvaient que c’était trop politique. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’art est éminemment politique. L’art questionne, interpelle et inquiète. C’est pourquoi les politiques ont souvent peur de certains artistes.
Vivez-vous de votre art ?
Cela fait plus de 25 ans que je suis artiste ; je ne fais pas autre chose. J’ai construit mon centre avec ce que je gagne dans le conte, je vis de mon art.
Quels sont vos rapports avec les autres conteurs ?
Je forme beaucoup de conteurs, je n’ai pas de problème particulier avec un conteur. Je suis un homme de partage.
Quels sont les souvenirs qui vous ont le plus marqué lors de vos différents voyages à travers le monde ?
Je ne sais pas quoi dire comme souvenirs. J’ai eu de grands prix. J’ai eu le prix des jeux de la Francophonie en 2009, le prix du développement culturel de la ville de Viborg au Danemark en septembre 2010, le prix des arts de l’oralité au Bénin, le prix des jeux olympiques d’hiver à Vancouver, les Lompolo à Ouagadougou et bien d’autres. Chaque instant est unique, on est toujours marqué toute sa vie.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien ?
Je joue beaucoup, j’écoute la musique traditionnelle. Moi, j’aime bien aller discuter quand je suis disponible. Soit je suis avec le doyen Malg Naba Kisto Koimbré, ou je vais au village voir le chef, Sa Majesté Naba Koom. Je vais toujours voir les personnes les plus âgées pour apprendre d’elles ce que je ne sais pas. J’écris souvent ou bien je suis avec mes enfants.
Et quelle est votre situation matrimoniale ?
(Eclat de rires)… Je suis marié et père de deux adorables filles.
Qu’avez-vous à dire pour conclure ?
Je dis merci à votre journal qui me donne de l’espace pour pouvoir m’exprimer. Que chaque personne respecte ses origines, parce qu’un arbre ne peut pas vivre avec les racines d’un autre. Il faut que nous soyions fiers de nous, pour pouvoir nous émanciper et nous assumer.
Propos recueillis et transcrits par Aboubakar Kéré KERSON