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BAKARY DEMBELE, ARTISTE-MUSICIEN: « Aujourd’hui, le Tianhoun se porte très mal. Et si rien n’est fait, il disparaitra »

L’homme n’est plus à présenter dans le domaine de la musique burkinabè. Virtuose du Tianhoun, instrument de musique traditionnelle bwa, Bakary Dembélé séduit et continue de séduire ses fans. Technicien supérieur d’élevage à la retraite, il s’apprête à lancer, le 1er octobre 2022, son clip vidéo de la chanson Bobo Si réalisé depuis 1986. Dans l’entretien qu’il nous a accordé dans la soirée du 19 septembre 2022, ce descendant de musiciens traditionnels (griots) confie que son rêve sur l’avenir du Tianhoun a été totalement brisé. Pire, Bakary Dembélé pense que le Tianhoun se porte très mal et même menacé de disparition. Lisez plutôt !

Evasion : Initialement prévu pour le 2 septembre 2022, le lancement officiel du clip vidéo Bobo Si aura finalement lieu le 1er octobre. Qu’est ce qui justifie ce report ?

 

Bakary Dembélé : Le report est simplement lié au fait que le lieu choisi n’était pas approprié. J’ignorais que c’était une boîte de nuit. Le protocole nous a demandé de choisir un endroit plus commode. C’est ainsi que nous l’avons programmé à l’espace culturel le « Bambou ». Tout est en fin prêt pour le 1er octobre.

 

Bobo Si est le nouveau clip vidéo qui sera dédicacé le 1er octobre 2022. Pourquoi avoir attendant 36 ans après la sortie de cet album pour réaliser enfin un clip ?

 

J’ai battu des pieds et des mains pour réaliser le clip sans succès. J’ai touché le ministère, des personnalités telles que des ministres, des hauts cadres originaires de Bobo et bien d’autres structures pour la réalisation du clip de Bobo Si. Malheureusement, ma démarche n’a pas reçu de réponse favorable.  C’est cette année que le BBDA a trouvé bon de réaliser le clip.

 

Quel est la thématique abordée dans cette chanson depuis 1986 ?

 

Dans Bobo Si, je chante les louanges de Bobo, cette ville charmante et touristique. Bobo Si, c’est notamment le Houet, les silures sacrées, Djoulasso Ba, la grande mosquée. C’est une ville à la population travailleuse, accueillante et qui respecte ses traditions.

 

Quel est l’album qui, selon vous, a le plus touché le cœur de vos fans ?

 

L’album qui a le plus touché le cœur de mes fans est sans conteste l’album « Wara yi sé » qui a eu le Prix RFI et enregistré sous la révolution par le ministère de la Culture. « Wara yi sé » reste le seul surnom que j’ai accepté.

 

Pourquoi avoir accepté ce surnom?

 

« Wara yi sé » veut dire que la bagarre n’est pas une bonne chose. « Wara yi sé » a tellement marqué les gens. C’est également « Wara yi sé » qui a remporté le prix RFI.  C’était l’un de mes premiers clips que les gens ont pu voir et apprécié. Depuis lors, on m’appelle Wara yi sé. Toute chose que j’ai accepté volontier.

 

Avec le recul, quels sont les enseignements que vous tirez du prix découverte RFI que vous avez remporté en 1985 ?

 

Les enseignements que je tire du Prix RFI est que c’est une référence que d’être lauréat sur plus de 500 candidats. Ce prix vous accorde une crédibilité artistique sur le plan national et international.

 

Ce prix a-t-il produit un déclic dans votre carrière ?

 

Ce prix a été une référence positive dans ma carrière. Mon prix est intervenu après celui de Cissé Abdoulaye. Et comme cette récompense est intervenue pendant la révolution, ça produit un véritable déclic. Ça fait beaucoup de bruit et de publicité. Tout le monde a cherché à me connaître et à connaître l’instrument qui n’est autre que le Tianhoun. Wara yi sé a naturellement été une opportunité de lancer le Tianhoun.

 

L’avenir du Tianhoun était votre combat. Vous envisagiez mettre en place un petit groupe artistique pour la promotion de cette sonorité originale. Votre objectif est-il atteint de nos jours ?

 

Mon rêve a été brisé. Il faut reconnaître qu’avec le départ de la révolution, le Tianhoun a eu un coup dur. Des morceaux censurés, le Tianhoun bâillonné… A un moment donné, j’ai eu confiance au Tianhoun. Mais très rapidement mon espoir sera perdu quant à deux reprises mon projet de promotion du Tianhoun et de sa musique seront rejetés par le PSIC et par le PSAC, avec comme prétexte que mon projet n’est pas pertinent. Alors qu’il s’agissait de sauvegarder les essences qui entrent dans la fabrication du Tianhoun, de créer un centre de formation des fabricants et des joueurs de Tianhoun. Il s’agissait également, de parcourir toutes les régions pour intéresser les jeunes à s’en approprier et d’instituer une nuit de la musique du Tianhoun.

 

Vous avez réussi à dompter le Tianhoun depuis 1982. Vous n’avez de cesse de répéter que cet instrument de musique traditionnel est et demeure la carte d’identité du bwamu. Et mieux, parce qu’il est le seul à ne pas avoir de rival ou d’équivalent dans les autres pays. Comment   se porte le Tianhoun de nos jours ?

 

Je ne cesserai de le répéter : le Tianhoun n’existerait qu’au Burkina Faso de par les matériaux qui entrent dans sa conception et de par la source de ses sonorités. Aujourd’hui, le Tianhoun se porte mal et très mal. Et si rien n’est fait, le Tianhoun disparaîtra. Les essences qui entrent dans sa fabrication disparaissent par les feux de brousse ; les fabricants meurent, les joueurs aussi… A cela s’ajoute la grande contrainte de sa sonorisation qui limite sa prestation en live.

 

Que faut-il faire pour sauver le Tianhoun, cet instrument de musique unique en son genre au monde ?

 

Pour sauver le Tianhoun, il faut d’abord sauver les essences qui servent à la fabrication de l’instrument. Il s’agit de l’andropogon qu’il faut protéger des feux de brousse. Ensuite, il faut former les fabricants et les joueurs de l’instrument. Il faut aussi faire la promotion du Tianhoun afin que les jeunes s’y intéressent. Cela nécessite la création, peut- être, d’une école de la musique du Tianhoun. L’organisation par exemple de la nuit du Tianhoun, à travers nos provinces, peut participer à sauver l’instrument. D’autre part, les caprices de sonorisations doivent être réglées. Il s’agira d’étudier le Tianhoun dans un laboratoire de sorte à le sonoriser parce que les cordes de l’instrument ne sont pas magnétiques. Il faut une sorte de capsules ou de capteurs qui puissent capter le son naturel du Tianhoun pour permettre aux uns et aux autres de se l’approprier.

 

Etes-vous satisfait de la politique de promotion de la musique traditionnelle par nos gouvernants ?

 

Je ne suis pas du tout satisfait de la promotion de la musique traditionnelle par nos gouvernants. La révolution est venue donner une place importante à la musique traditionnelle. Après la révolution, plus aucune initiative. La promotion de la musique traditionnelle respecte un certain nombre de critères à savoir : encourager l’utilisation de nos instruments traditionnels, encourager nos rythmes, encourager les artistes à s’inspirer de la musique traditionnelle, encourager l’utilisation de nos langues ; encourager les tenues traditionnelles (FDF), sensibiliser les médias et les populations à consommer la musique burkinabè. La Semaine nationale de la culture (SNC) est la bienvenue, mais présente un goût d’inachevé car dès la clôture de la semaine, les lauréats sont abandonnés ou oubliés pour attendre la SNC prochaine.

 

Comment se porte la musique burkinabè ?

 

La musique au Burkina Faso tourne très bien. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. La musique burkinabè patauge. Nous avons dansé shakara avec les Nigérians, soul makossa avec les Camerounais, ziglibiti, zougou et même la danse du chien avec les Ivoiriens, cavacha, soukouss, bachéké avec les Congolais et aujourd’hui, le coupé décalé et autres tendances. La grande question que l’on se pose est de savoir qu’est-ce que les autres ont dansé avec nous ? La musique traditionnelle et d’inspiration traditionnelle est reléguée au second plan. Les musiques les mieux diffusées, c’est celles qui sont bien copiées, ce qui explique toutes les monotonies dans nos rythmes. En un mot, nous sommes devenus la caisse de résonnance des autres.

 

Quelles sont les contraintes qui se présentent aux artistes burkinabè ?

 

Les contraintes qui se présentent aux artistes burkinabè sont de plusieurs ordres. Il y a, d’abord, le manque de soutien à la production et à la promotion. Il faut un minimum financier aux artistes pour la production d’albums, de clips et leurs promotions. Ensuite, le manque de cadre de formation. Au Burkina Faso, on ne valorise pas les jeunes talents.

 

Quel est l’impact de l’insécurité et du terrorisme sur les productions artistiques ?

 

L’impact de l’insécurité et le terrorisme sur les productions artistiques est inestimable. Dans toutes les zones sous contrôle terroriste, on ne parle plus de musique. Point de concert. Aucune autre activité artistique, même pas de ventes de support musicaux. Aujourd’hui, la préoccupation des populations c’est de retrouver la sécurité, quant à la musique, c’est le cadet de leur souci. Du coup, les artistes voient leurs affaires périclitées, d’où une autre forme de chômage entraînant la misère et la galère. A cela s’ajoute les nombreux déplacés parmi lesquels des artistes et leurs parents, ce qui joue sur le moral et l’inspiration.

 

Quelle peut être la contribution des artistes dans la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent ?

 

Le rôle de l’artiste ici est de sensibiliser la population dans le sens de la réconciliation et la cohésion sociale. Sensibiliser les populations à respecter nos traditions et nos valeurs culturelles. Pour cela, les artistes dans leurs productions doivent aborder des thèmes qui fustigent les inégalités sociales et la stigmatisation. La sensibilisation de la jeunesse à plus de patriotisme et l’encouragement permanent des Forces de défense et de sécurité (FDS) doivent constituer de nos jours le combat des artistes musiciens. En tout état de cause, il faut reconnaître que les solutions réelles de lutte contre la radicalisation et l’extrême violence sont hautement politiques !

 

A quand le prochain album de Bakary Dembélé ?

 

Je suis actuellement dans la promotion. Soyez rassuré, que le prochain album de Bakary Dembélé ne saurait tarder, plaise à Dieu.

 

Quel est votre message à l’endroit de vos jeunes frères artistes musiciens?

 

Je voudrais, d’abord, leur rendre un vibrant hommage. Je leur adresse mes encouragements et mes félicitations. J’ai toujours souhaité que tout artiste- musicien burkinabè s’intéresse à un instrument de musique traditionnelle, à savoir le tam-tam, le balafon, le goni, le bendré, la kora ou le Tianhoun. Ce sont des instruments de musique traditionnelle qui, au-delà de la promotion, particularisent la musique. Je souhaite également que nos jeunes musiciens s’inspirent toujours de la musique traditionnelle dans leurs productions. Que ce soit le reggae, le rap et autres rythmes, l’essentiel que ça vienne de la musique de chez nous. Nous avons beaucoup de mélodies et rythmes traditionnels. C’est pourquoi, j’encourage les uns et les autres à toujours se pencher sur nos instruments de musique et sur nos rythmes traditionnels.

 

Propos recueillis par Loban Henry POPPY

 

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